Comment faire dire n’importe quoi à n’importe quelle étude…

par | Avr 28, 2019 | Information

Ou comment le verbiage scientifique cache l’ignorance ou la manipulation…

Une alerte récente sur ma messagerie m’a dirigé sur un article dans un site réservé aux médecins. Le titre est accrocheur « EASD : Un taux de cholestérol mal contrôlé est associé à des troubles cognitifs chez les personnes atteintes de diabète de type 2 ».

Au niveau technique de communication c’est impeccable : 
 Une abréviation obscure d’un sigle anglophone EASD (European Association for the Study of Diabetes, EASD), 
 Un titre un peu inquiétant pour les médecins car quand on dit « Un taux de cholestérol mal contrôlé est associé à des troubles cognitifs », le médecin besogneux comme moi traduit « il faut traiter le cholestérol pour éviter Alzheimer… » 
 Et un texte bourré d’affirmations…

Mais on peut approfondir…

EASD Européan association for the study of diabetes, est sponsorisée par tous les laboratoires fabriquant des hypocholestérolémiants…

Difficile d’être non suspect quand on touche de l’argent des gens intéressés par le résultat de l’étude… L’origine de l’étude est donc douteuse au moins…

Le texte ensuite : 
L’accroche est sans ambiguïté « Selon les données présentées lors du congrès de l’EASD, qui s’est tenu en septembre à Vienne, un taux de cholestérol mal contrôlé est associé à des troubles cognitifs chez les personnes atteintes de diabète de type 2.  » Pas de conditionnel, pas de précaution oratoire, le type qui s’arrête aux premières lignes est convaincu…

La suite est plus curieuse… « Des chercheurs de l’hôpital affilié Zhongda de l’Université du Sud-Est, à Nankin en Chine, ont utilisé la technique d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) à l’état de repos pour étudier la connectivité fonctionnelle de 25 patients atteints de diabète de type 2 présentant un taux de cholestérol mal contrôlé, 22 patients présentant un taux de cholestérol conforme à sa valeur cible et 26 contrôles sains appariés. » Là c’est fort… Parce que la reconnaissance internationale de l’hôpital de Zhonda n’est plus à faire… Sérieusement, pense-t-on faire évoluer la prescription internationale, et surtout occidentale, des hypocholestérolémiant en se basant sur une étude d’un obscure annexe de l’université de Nankin ? En plus cette étude repose sur 25 patients ! C’est bien peu pour en tirer des conclusions aussi fortes…

Suit une longue dissertation sur les caractéristiques des groupes étudiés… Long texte pour nous prouver que l’étude repose sur des éléments statistiques fiables… Pourquoi pas… J’aurais aimé avoir dans le même texte un long paragraphe me démontrant l’absence de conflit d’intérêt entre les chercheurs ayant réalisé l’étude et les laboratoires pharmaceutiques mais je n’ai pas d’information… Remarquez comme le nom de ces chercheurs n’est pas cité….

Après cela quelques lignes expliquent le protocole… Enfin quand je dis explications… C’est un long texte très obscur même pour moi qui ai quelques connaissances médicales. Je suis certain que 99% des participants au congrès n’y ont rien compris non plus… C’est là aussi une technique fréquente dans les communications. Si vous commencez par expliquer un protocole incompréhensible, comme vous savez que personne ne lèvera la main pour dire : « Je n’y comprends rien  » au risque de passer pour un con, vous êtes déjà tranquille votre truc va passer comme une lettre à la poste… « Toutefois, selon les chercheurs, une connectivité fonctionnelle désordonnée entre l’hippocampe et le gyrus frontal moyen (GFM) bilatéral dans le groupe mal contrôlé a été démontrée de façon constante par rapport aux deux autres groupes. En outre, la connectivité fonctionnelle aberrante était liée aux scores de TMT-B ainsi qu’au ratio LDL/HDL chez les patients atteints de diabète de type 2 dont le taux de cholestérol était mal contrôlé.  » Vous n’y comprenez rien ? Rassurez-vous, moi non plus !

La conclusion est sans ambages «  Les auteurs de l’étude concluent que les patients atteints de diabète de type 2 dont le taux de cholestérol est mal contrôlé montrent une altération de l’attention et de la fonction exécutive.  » C’est clair et net… sauf que ce ne semble pas être prouvé…

La suite est fabuleuse « Abaisser le ratio LDL/HDL pourrait être une mesure de précaution contre les pertes cognitives » Là on est dans le conditionnel… Plus rien n’est prouvé…

Je trouve ce genre d’article proprement scandaleux. Le titre accrocheur dit aux médecins « traitez le cholestérol pour prévenir les troubles cognitifs » ce qui se traduit pour le besogneux de base par « traitez le cholestérol pour éviter Alzheimer »

C’est une action de publicité des grands groupes produisant des hypocholestérolémiants pour induire une augmentation de la prescription. Le hic c’est que ces médicaments sont déjà beaucoup produits, qu’ils coutent cher à l’Assurance maladie et qu’ils ont de nombreux effets secondaires… Trois données qui auraient dû être pensées pour relativiser le compte-rendu… mais le rédacteur est peut-être également victime de conflit d’intérêt…
Philippe Beury

Philippe Beury

Médecin du Sport & nutritionniste

Président de MeSCoS, docteur en médecine, DESC médecine du sport, nutrition, pratiquant la mésothérapie, le dryneedling, l’approche systémique. Médecin du sport au club de football ESTAC, membre de l’association des médecin du football professionnel.
Philippe Beury

Philippe Beury

Médecin du Sport & nutritionniste

Président de MeSCoS, docteur en médecine, DESC médecine du sport, nutrition, pratiquant la mésothérapie, le dryneedling, l’approche systémique. Médecin du sport au club de football ESTAC, membre de l’association des médecin du football professionnel.