Boire quand on a soif, pas avant…

par | Avr 28, 2019 | Nutrition, Santé

Interviewé récemment par un journaliste sur les troubles qu’impliquait la fatigue, je développais mes idées sur la nutrition, le jeûne, les étirements… Battant en brèche un certain nombre d’idées reçues qui me paraissaient plus reçues que réellement idées… Au bout de deux heures d’entretien, le journaliste me dit soudain : « Mais vous ne nierez quand même pas qu’il faut boire, beaucoup boire, et boire avant d’avoir soif pour ne pas voir diminuer ses performances ? » 


Ben si, j’avais envie de le nier… Mais comme on devait passer aux choses sérieuses… Le repas ! J’ai clos le débat par un « Justement, il serait temps de s’hydrater un peu… »

Cependant, cependant…

Malade à la fin de tous ses marathons.

Récemment je vois arriver à mon cabinet un homme d’une cinquantaine d’années. Sportif. Il court 4h30 par semaine pour quelques cinquante kilomètres… 4h09 au marathon, 1h50 au semi… Pas mal !

Cet homme vient me voir car il ne termine jamais bien ses courses. Il souffre de douleurs abdominales, de nausées, de vomissements… Parfois c’est un véritable désastre après la ligne d’arrivée…

Il consulte parce qu’il impute à cela sa perte de performance. Malgré son temps de 1h50 au semi, il ne parvient pas à descendre en dessous de 4 heures pour le marathon. 
« Et pourtant docteur, je fais tout bien. Je bois beaucoup avant l’épreuve pour ne pas être déshydraté et je bois à chaque halte… Tous les 5 km. A mon dernier marathon j’avais bu un litre et demi dans l’heure précédant le départ puis un gobelet tous les 5 km… Eh bien rien n’y a fait, à la fin j’ai terminé dans le camion des pompiers… J’avais mal au ventre, la diarrhée, je vomissais… ». 
Et le monsieur d’attendre des examens complémentaires, des interrogations, une longue interrogation… Que nenni, mon diagnostic était fait… « Ignorantus, ignoranta, ignorantum… » Je jouais à Toinette et lançais un diagnostic magistral « Vous buvez trop… »
Oups !… Le monsieur manque de s’étrangler… « Je ne bois jamais ! »… « Bien sûr, vous ne buvez pas d’alcool… Mais vous buvez trop d’eau… Attendez d’avoir soif pour boire et ne buvez pas plus que vous n’en avez envie… Et vous terminerez en forme ! ».

J’ai senti une perplexité chez ce coureur, peu tenté d’abandonner les conseils des revues spécialisées Couring ou Traillor voire Le coureur mondial … « Buvez avant d’avoir soif… Buvez beaucoup… Quand vous avez soif vous êtes déjà déshydraté… »

Le monsieur est reparti, je ne sais s’il reviendra…

Buvez avant d’avoir soif !

Je suis quand même interloqué par la visite. Certes je savais qu’il y a quelques années on préconisait de « boire avant d’avoir soif » parce que « quand vous avez soif c’est trop tard, vous êtes déjà déshydraté » et qu’enfin « il est prouvé qu’une déshydratation de 3% entraine une perte de performance de 10%… »

Certes je me rappelais de longues discussions quand, dans les années 2000, employé dans une boite de nutrition, je disais qu’il fallait attendre d’avoir soif pour boire en faisant du sport, et que mon directeur pensait que je racontais n’importe quoi…

Mais depuis plusieurs études prouvant le contraire, je pensais que ce mode de pensée était de moins en moins partagé…

Alors je suis retourné sur internet et je suis resté ébahi. Un nombre important de sites continue à raconter n’importe quoi en la matière… Et ceci est parfois relayé par des revues « spécialisées » qui se veulent « sérieuses »…

Ne rentrons pas dans une polémique stérile, on ne parle pas de philosophie avec les clowns… Alors je répondrais aux questions point par point en commençant, si vous le voulez bien, par la dernière…

1ere fausse idée : « Une perte de 2% d’eau, entraîne une diminution de 20% des performances sportives. » FAUX ! 

Déjà pour les chiffres c’est la foire… C’est à qui sortira les plus mirifiques, les plus impressionnants, 2 et 20 ici, 5 et 10 là, j’ai même lu « Lorsque la perte d’eau s’élève à 4%, la baisse de performance peut varier entre 40 et 60% » de plus en plus fort…

D’où viennent ces idées ?

Ces chiffres, perte de 20% de la performance pour une déshydratation de 2% , viennent d’une étude réalisée en 1971 par Hermansen, la courbe réalisée à l’époque était tout à fait affolante pour les sportifs en quête de performance…. D’autres études allant dans le même sens furent publiées dans les années 1970 à 1980. Celles-ci étaient réalisées dans des conditions particulières et leurs résultats sont fortement mis en cause. En effet, les exercices effectués étaient « non_ecologically valid (NEV) c’est-à-dire qu’ils ne correspondaient pas à des conditions normales d’exercice physique. Depuis, plusieurs études tendent à prouver le contraire. Ainsi, une méta-analyse (c’est-à-dire la synthèse de plusieurs études scientifiques) parue en mai 2012, rassemblant les résultats de 15 articles de recherche tend à prouver le contraire « Effect of exercise-induced dehydration on endurance performance : evaluating the impact of exercise protocols on outcomes using a meta-analytic procedure [1] » par le Dr. Eric DB Goulet, Centre de recherche sur le vieillissement / Faculté d’éducation physique et des sports, Université de Sherbrooke, Québec, Canada.

Les conclusions de l’article sont claires : 
• La déshydratation induite par l’exercice, quand elle est inférieure ou égale à 4%, ne nuit pas aux performances en endurance. 
• Dans certaines conditions extrêmes, la perte de 2% du poids corporel est associée à une réduction des performances en endurance. 
• La règle de perte de 2% entraînant la diminution de 20% des capacités de performance a été établie à partir de protocole « NEV » et ne concerne pas les exercices sportifs habituels (incluant le marathon !). 
Donc les résultats de cet article démontrent que, dans des conditions proches de la réalité, une déshydratation consécutive à l’effort améliore les performances en endurance mais de façon non significative (+0.09%, p=0.9).

Deuxième idée fausse : Quand vous ressentez la soif, c’est trop tard, vous êtes déshydraté et, le temps d’assimiler les liquides est trop long, vous perdez de la performance. 

La soif, et les mécanismes associés comme la sécrétion d’hormone anti-diurétique HAD, apparaît dès 3% de diminution du volume plasmatique à l’état normal.

Pendant l’exercice c’est différent. Le corps s’adapte. D’abord parce que le flux sanguin est dirigé vers les muscles qui travaillent et diminue au niveau des reins. Les reins ne peuvent donc plus éliminer d’eau. Ensuite parce que vous allez sécréter de l’hormone anti-diurétique dès que vous dépassez 60% de votre VO2max (et c’est vite fait), s’il fait chaud ou si vous avez des blessures musculaires . Cette sécrétion est destinée à augmenter le volume sanguin pour faciliter l’irrigation sanguine des cellules qui travaillent. Enfin, pendant l’exercice, la soif apparaît avant les 3% de déshydratation…

Tous ces mécanismes sont « anticipés » par rapport aux besoins. Comme l’augmentation de la fréquence respiratoire débute avant un réel déficit d’oxygène, dès que vous commencez à courir vous économisez l’eau… Quand vous débutez une course, l’organisme, si vous êtes entraîné, sait ce qu’il va se produire. Il adapte donc son fonctionnement à sa « mémoire », il répond « en avance » à vos besoins. Ainsi, vous allez sécréter l’ADH dès le début d’une course d’endurance, pour diminuer votre sécrétion d’urine et économiser l’eau. Et, contrairement à ce qui est dit, les mécanismes qui préservent l’organisme en diminuant la déshydratation commencent AVANT celle-ci et avant toute diminution du volume plasmatique. Vous n’aurez pas soif trop tard, mais juste au moment où il faudra boire…

Troisième idée fausse : il faut boire avant d’avoir soif…

Là aussi c’est faux [2].… Boire avant d’avoir soif, c’est imposer à l’organisme des contraintes auxquelles il ne peut répondre. L’eau a du mal à passer la barrière digestive. Vous avez des douleurs abdominales, des diarrhées, des vomissements… Si l’eau pénètre votre sang, vous risquez une hyperhydratation. C’est une pathologie connue depuis longtemps (années 1980) appelée hyponatrémie d’effort exercise-associated hyponatremia EAH des anglo-saxons. C’est une pathologie fréquente puisque plusieurs études soulignent le fait que 30% des coureurs participant à une compétition d’endurance (marathon ou plus) en souffrent [3] [4] [5]. Cette hyponatrémie d’effort est très dangereuse puisqu’elle peut provoquer un gonflement des cellules cérébrales donc des pertes de connaissance, des comas voire la mort…

En pratique :

– 1. Une légère déshydratation augmente la performance [6]. D’ailleurs si l’on pèse les coureurs à la fin d’un marathon, on s’aperçoit que plus la perte de poids est importante, plus le résultat est bon [7]. Perte de 3.1% chez les marathoniens finissant en moins de 3 h, 2.5% chez ceux finissant entre 3 et 4 h et 1.8% chez ceux finissant au delà de 4 h… Quant aux meilleurs, une étude [8] parue en 2012 a montré qu’ils perdaient en moyenne 8.8% de leur poids de corps lors d’un marathon (temps moyen de course : 2h06mn31sec) et que le vainqueur du marathon de Dubaï 2009 (Haile Gebrsellasie) avait perdu 9.8% de son poids de corps lors de sa victoire… D’autres études sur le semi, le triathlon Ironman ou l’ultra-marathon montrent des résultats comparables. 
 2. Il ne faut pas boire avant d’avoir soif, au moins pendant les épreuves d’endurance. 
 3. Pesez-vous : le meilleur indicateur de votre état d’hydratation c’est le poids avant et après l’effort. Il faut vous peser nu car le poids de votre transpiration dans vos habits ne doit pas être compté… Vous faites la différence et vous calculez votre perte de poids pendant l’effort. Cela vous permettra de vous adapter lors des entraînements ou compétitions suivantes. Exemple : vous pesez 81 kg avant le marathon, 79 après et vous avez bu 5 verres de 125 ml. Votre perte de poids est donc de 2 kg soit 2,5%, parfait vous pouvez continuer ainsi. Si vous pesez 78 en fin d’épreuve vous avez perdu 3 kg soit 3,7%, c’est peut-être un peu trop, essayer de boire un peu plus la prochaine fois…

Pour conclure :

1. D’abord méfiez-vous des sites Internet qui veulent vous faire faire n’importe quoi au gré des fantasmes de leurs rédacteurs parfois en conflit d’intérêts (ils vantent et vendent des boissons de réhydratation), souvent ignorants et parfois complètement allumés…
2. Faites confiance à votre corps. La mécanique intime qui vous fait avoir faim, soif, froid… est parfaitement adaptée à votre survie et aussi à votre performance. N’essayez pas d’être plus intelligent que votre hypothalamus ou votre rein, vous perdrez le match !
3. Enfin, il faut s’entraîner… En effet, c’est l’entrainement qui permettra à votre organisme de s’adapter à l’effort, d’anticiper ses besoins, de diriger votre soif… Et il faut s’entraîner dans les conditions de course (mon patient, ne buvait jamais pendant ses entraînements… et ne s’en portait pas mal ; je lui ai donc conseillé de ne pas boire ou seulement s’il avait soif pendant ses épreuves… )

Philippe Beury

Philippe Beury

Médecin du Sport & nutritionniste

Président de MeSCoS, docteur en médecine, DESC médecine du sport, nutrition, pratiquant la mésothérapie, le dryneedling, l’approche systémique. Médecin du sport au club de football ESTAC, membre de l’association des médecin du football professionnel.
Philippe Beury

Philippe Beury

Médecin du Sport & nutritionniste

Président de MeSCoS, docteur en médecine, DESC médecine du sport, nutrition, pratiquant la mésothérapie, le dryneedling, l’approche systémique. Médecin du sport au club de football ESTAC, membre de l’association des médecin du football professionnel.